26-02-2008 | La Marseillaise
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JARDINS NATURELS DANS LES PYRÉNÉES
La Terre est belle. Elle a créé des jardins partout. L’homme, par la suite, s’en est inspiré de multiples façons. Mais retrouver l’original – l’originel – est un plaisir sans équivalent.
C’est dans les Pyrénées, côté espagnol. Generalitat de Catalunya, Parc national d’Aigüestortes. Pas besoin de connaître le catalan pour comprendre qu’aigüestortes évoque des eaux tortueuses : qui font des tours et des détours (pour reprendre la définition du dictionnaire).
Et de fait l’eau est partout. Coulant à travers la montagne en rivières tranquilles, torrents ou cascades selon le relief. Reliant – mais pas toujours – des dizaines de lacs. Offrant des jardins par centaines : décors naturels que l’œil s’émerveille de découvrir au sommet d’un col après une dure montée, au détour du sentier, derrière un amas rocheux. Il y a de la magie dans ces paysages : toujours une harmonie s’en dégage, qui fait irrésistiblement penser aux jardins japonais dont on voit les images dans les livres. Sauf qu’ici, l’homme n’a participé en rien à l’organisation des choses. Ce n’est pas lui qui a dessiné les lacs, orné leurs berges de rochers, de galets ou de verts gazons. Pas lui qui a tracé le cours des ruisseaux, imaginé leur vagabondage léger à travers des espaces fleuris, leur course folle dans les pentes pierreuses et soudain, leur réseau ramifié de rivières alanguies, basses eaux transparentes glissant à travers prairies et sapins, caressant un nid de cailloux posé sur le fond, se faufilant parfois sous un tronc mort, léchant les arbustes du bord dont les branches font trempette. Pas lui qui a marié le pin, la roche et le rhododendron en subtiles compositions.
Nature mère
Et les cascades : fines comme des lames ou s’étirant en largeur ; dévalant à pic ou descendant marche après marche des escaliers géants ; cognant sur la roche en flots d’écumes ou emplissant des baignoires paisibles dans lesquelles on voudrait plonger. Et les bois : pins rouges, sapins, pins noirs, selon l’altitude, jamais très fournis mais à l’ombre desquels on aime marcher quand il fait chaud. Et ces chaos de pierres tombées de la montagne : blocs grands comme des maisons, fragments éclatés sur des dizaines de mètres, quelle colère du ciel les a jetés de là-haut ?
Non, l’homme n’a pas conçu ces beautés. Mais il les aime. Alors il a inventé et aménagé des sentiers, construit des refuges, permis que d’autres promeneurs, randonneurs, amoureux de la montagne puissent à leur tour venir en ces lieux faire un plein de bonheur.
J’ai dit jardins japonais. J’exagère, parce que le jardin japonais est construit dans un objectif précis. Même s’il est censé répondre à ces règles strictes : 1. Respecter la configuration du terrain tout en cherchant à reproduire la nature sous ses différents aspects. 2. Etre une œuvre d’art qui illustre la spiritualité de son concepteur. 3. Etre modelé selon la plus parfaite harmonie et s’intégrer au milieu naturel.
Il faut apprendre à regarder avant de se lancer dans la réalisation de tels jardins. Quand, pour celui qui contemple, une pierre inspire le sentiment de la montagne, c’est qu’il est entré en communion avec le monde, qu’il en perçoit l’essence, la ressent comme une entité dont il fait lui-même partie. Un lien fusionnel avec la nature mère : voilà ce qui s’exprime.
Or, dans les jardins naturels des Pyrénées, l’effet, pour advenir, n’a pas besoin d’intervention humaine, et c’est ce qui fait la différence : on est de plain-pied DANS la nature et on la ressent profondément, naturellement.
Nature partenaire
Autre point de vue : le paysagiste Gilles Clément milite ardemment en faveur du « jardin naturel ». Pour lui, pas question de créer une illusion de naturel, il faut participer à un flux vital déjà en place. Mille fois préférable est « le bruit de l’eau qui coule à celui de l’eau que l’on fait couler ». Ni dominer ni copier la nature mais l’observer et s’y insérer. Pas non plus de vénération romantique qui interdirait que l’on touche à quoi que ce soit. Intervention humaine en tant que partenariat, voilà le juste milieu.
Note de Maxence: "J'aimais à dire qu'on ne crée pas avec la nature, même si on voudrait, c'est la vie! mais plutôt on devrait intégrer, et je viens de découvrir cet article relatant Gilles Clément, j'y souscris doublement pour ce que j'observe depuis ma jeunesse à la campagne..."
Partis des Pyrénées, nous voici revenus chez nous. Avec des idées de jardins dans la tête. Des jardins vus là-haut dans la montagne, que nous aimerions retrouver – recréer – dans nos espaces familiers : en miniature dans nos appartements (les Chinois savent très bien le faire), un peu plus grands sur nos bouts de terrain. Le ferons-nous ? Pas sûr. Les moments forts, les sensations heureuses, qui font des strates de vie dans nos histoires personnelles, n’ont pas besoin d’être revécus pour nous marquer. Quand la fête est finie passons à autre chose. A une autre fête par exemple… Allez, jardinez bien.
ALAIN FABRE
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